Ingénieur Numérique Sans diplôme : Mythe ou Réalité ...?
En Afrique et partout ailleurs dès que vous vous
présentez comme ingénieur, tout le monde vous regarde avec respect et vous
considère comme une personne qui a réussit. Et surtout si vous êtes diplômé
d'une prestigieuse grande école, comme l'Ecole
Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé au Cameroun. Plus encore si vous
totalisez un nombre important d’année d’étude supérieure, on vous prend presque
pour un "gourou" de secte. Le mythe du diplôme et du nombre
d'année passée à l'université est comme un blocage pour plusieurs africains.
Pourtant l'expérience du terrain montre
bien que dans plusieurs écoles d'ingénieurs
d'Afrique les étudiants finissent leur cursus souvent sans vraiment être
opérationnel et sans compétences. Voilà
pourquoi on parle de plus en plus de professionnalisation des enseignants, comme pour compenser un
manque très perceptible à la fin des études. Imaginez-vous qu'en 2018 plusieurs écoles
d'ingénieurs n'ont même pas une salle d'ordinateur en Afrique ? Et que dire de
la connexion Internet…?
C'est bien souvent avec
le temps et l'expérience du terrain que plusieurs ingénieurs
essaient de bien maîtriser les technologies sur lesquelles ils sont déjà
diplômés et ont été formés. Au vu des réalités du terrain, des contenues de formation un peu obsolètes dans nos grandes
écoles et de l'évolution technologique, on serait en droit de se poser la question de
savoir s'il n'est pas mieux de repenser l'école ou simplement de réinventer un système éducatif pour former les ingénieurs numérique
opérationnel sans diplôme?
C'est-à-dire un système ou l’entrée ne
serait pas conditionné par le baccalauréat ou par un mystérieux concours ou l’admission serait des
plus sélectives. Est-il possible d’être
ingénieur sans diplôme ? Est-ce un mythe ou une réalité réalisable ?
Les exclus du système
formel ne peuvent-ils pas, eux- aussi devenir des ingénieurs? Ne
serait-il pas nécessaire de valider les acquis professionnels de ces jeunes
très souvent passionnés, mais qui malheureusement n'ont pas peu avoir leur
entrée dans une grande école ? Et que dire de ceux qui n'ont même pas eu la chance de finir
leurs études secondaires et pourtant sont des passionnés de la
technologie. Le constat et alarmant et même frustrant pour plusieurs. Surtout
dans le contexte africain. Où presqu’aucune chance n’est donné offerte à ceux
qui décroche en cours d’études secondaires ou supérieures.
Nous partageons ici des
expériences bien particulières sur des pratiques des ingénieurs en Afrique
au sud du Sahara, sur les contenus de formation, sur les possibilités de
repenser la formation professionnel et spécifiquement le transfert de technologies en Afrique. Ce
dernier semble être le gage d’un
développement réel et effectif.
D'entrer de jeux, je
partage avec vous mon expérience d’ingénieur praticien, de formateur et
d’enseignant dans les grandes écoles d’Afrique. Je suis un tout-petit ingénieur
télécoms, mais sans diplôme depuis 18 ans. J'ai fais beaucoup de
formations, mais malheureusement ou heureusement j'ai jamais eu un diplôme
d’ingénieur délivré par une quelconque université. Je n’ai même jamais
passé un concours d’entrée dans une école d'ingénieur. Pourtant je suis
ingénieur en télécommunication, et spécialisé dans les réseaux sans fil qui
sont une véritable passion pour moi. En plus je suis enseignant-formateur-chercheur dans
plusieurs grandes écoles d’ingénieurs
en Afrique.
Avant de continuer notre
réflexion, essayons de mieux comprendre
le terme INGÉNIEUR. Il est définit, comme un professionnel concevant des
projets, si possible, par des moyens novateurs, et dirigeant la réalisation et
la mise en œuvre de l'ensemble : produits, systèmes ou services impliquant de
résoudre des problèmes techniques complexes. Cette définition assez
claire et complète de l'encyclopédie universelle Wikipédia, nous semble bien appropriée
pour poursuivre notre réflexion et mieux
comprendre ce qui se cache dans le
terme « ingénieur ». Signalons au passage qu'en aucun cas, dans cette
définition nous ne voyons le nombre d'année d'étude qu'il faut faire pour être
considéré ou exercé comme ingénieur.
Par ailleurs on serait
en droit de se demander si l'ingénieur est forcement ingénieux ? Peut-on
faire la différence entre l'ingénieur
diplômé de l'Université et l'ingénieur de terrain ou encore l'ingénieur
auto-formé et passionné ?
Une petites anecdote :
Dans le cadre des ateliers TIC Africa / Cybervillage, qui est un programme de
transfert de technologies et de compétences que nous avons crée en Afrique, nous avons été
invité à réaliser des ateliers-labo pratiques avec les étudiants du programme
de MASTER de l'AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) délocalisé à
l'Ecole Nationale Supérieure Polytechnique de Yaoundé au Cameroun. A cette occasion mon assistant de cours se trouvait être un de nos jeunes qui
n'avait même pas pu avoir son baccalauréat et qui pourtant avait des compétences
et des aptitudes techniques
professionnelles, est arrivé à montrer aux étudiants de Master
comment :
- Réaliser un réseau sans fi et faire un bilan de liaison
- Configurer un routeur open source et un routeur ordinaire
- Concevoir et déployer un réseau privé virtuel ( VPN)
- Fabriquer des antennes dans la bande des 2.4Ghz
- Connecter deux réseaux distants, dans des villes et même des pays différents.
- Installer, pointer et configurer un réseau satellitaire
- Alimenter tout système à l’énergie solaire
Et bien d'autres astuces
dans la conception, l'administration et la gestion des réseaux en
télécommunication. Nous avons eu la même expérience au Campus Numérique à
N'Djamena au TCHAD, mais cette fois avec les professionnels du secteur et les
enseignants d'universités.
Alors revenons sur
la question du type d'ingénieur que l'on veut avoir pour l'émergence de
l'Afrique : les ingénieurs de terrain ou les ingénieurs super diplômés
des universités et grandes écoles ? Loin de nous l'idée de vouloir faire des
réflexions philosophiques. Nous voulons juste attirer l'attention sur les
notions d'ingénieurs, d’opérationnalité technique et amener les uns et les autres à
admettre qu'il est possible de nos jours d'être ingénieur sans diplôme en Afrique. Ce n’est pas nouveau. On ne comprend
pas pourquoi les africains sont toujours complexés et pensent presque
tous, qu'il faut forcement faire de très longues études
de doctorat ou d'agrégation pour être
ingénieur et servir son pays.
Les étudiants de la prestigieuse école 42 www.42.fr, créé par Xavier Niel, n'ont
aucun complexe en finissant leurs études. Pourtant plusieurs parmi eux, n’ont
même pas de baccalauréat. Bien au
contraire ils ont une avance très remarquable même sur les
"Centraliens" de Paris ou sur ceux du Massachussetts Institut of
Technology des Etats Unis d’Amérique. C’est pareil pour les étudiants du
programme 10000 Codeurs ( www.10000codeurs.com)
de la Société OBJIS et ceux des
« Cybervillage Open Academy for Developement » de l’Association TIC AFrica. ( www.tic-africa.blogspot.com)
Dans les trois cas de
figure aucun diplôme n’est exigé au
début de la formation, mais les stagiaires sont rompus aux codes, aux
technologies innovantes, à l’open-source et à l’application concrète des
savoirs techniques pour créer de la valeur pour les entreprises et pour les économies dans le monde.
Le but de l’école 42 est de fournir les ingénieurs qu’on
n’arrive pas à trouver sur le marché des diplômés. Ceci parce que les écoles
d’ingénieurs n’arrivent pas former le
type d’ingénieur dont ont besoin les entreprises du numérique.
Le programme très innovant 10 000 Codeurs de OBJS www.10000codeurs.com veut faire l’Afrique le premier fournisseur de développeurs et de codeurs
dans le monde. Ceci par un transfert de technologies dans les codes informatiques et particulièrement dans le
JAVA. Au terme de cette session de
transfert de technologies qui dure environ 20 mois et qui se déroule en formule
cours-du-soir, le stagiaire est apte à développer les applications
mobiles et WEB qui tiennent compte de
l’environnement et des réalités africaines. Ils s’attaquent par le fait même un à l’un
des grands piliers du numérique en
Afrique qui est le développement des contenus
locaux africains. Ce programme est déjà en marche dans plusieurs pays
d’Afrique francophone et est promis à un bel avenir, parce qu’il trouver
l’adhésion de plusieurs Etats Africains et de plusieurs partenaires locaux.
Quant au programme « Cybervillage
OpenAcademy 4 Dev » qui date déjà
de plus d’une décennie, il est basé sur la réduction de la fracture
numérique par le transfert de
technologies dans les réseaux sans fil, la téléphonie rurale, le developpement des contenus locaux web et de l’énergie
solaire. Les stagiaires de ce programme, s’attaquent directement au problème de
l’infrastructure Internet et spécifiquement de l’accès à Internet au dernier kilomètre. (Last miles). Plus de 485 Hot spot-Wifi sont aujourd’hui
installé à travers l’Afrique grâce à ce programme. Et le coordonnateur des programmes de TIC
Africa, envisage pour les deux
prochaines années la création de 1000 Hotspot-Wifi dans les
10 régions du Cameroun et en zone CEMAC. Et tout ce travail est fait et
réalisé par des ingénieurs sans diplôme,
mais avec des compétences et des aptitudes
pratiques.
Les prévisions de la
Banque Mondiale et des économistes
semblent être unanime sur le fait que l’Afrique est le continent de l’avenir.
Et en plus la population africaine est pour la grande majorité jeune. Malheureusement
les politiques publiques n’encouragent pas beaucoup la formation
professionnelle et l’investissement dans les
infrastructures des Télécommunication.
L’Afrique est la région du monde
la moins connecté (moins de 20% de connectivité) et celle ou les tarifs d’abonnements sont les plus élèves au
monde. Ce qui situe la fracture numérique qui, en même temps est un gisement d’opportunités à la fois pour les Etats, pour les
populations et pour le secteur privé.
Cette réalité est encore
ignorée par beaucoup de jeunes en Afrique. Il est donc important et urgent de former des ingénieurs praticiens en Afrique.
Des ingénieurs pas forcement diplômés de Oxfort en Angleterre ou de Polytechnique au Cameroun.
Mais des ingénieurs praticiens qui peuvent concevoir des projets
innovants, par des moyens novateurs,
moins coûteuses et bien entendu dirigés la réalisation et la mise en œuvre des
ensembles « Produits-Système-Services » qui parviennent à résoudre des problèmes propres à
l’environnement des africains. Les ingénieurs qui apportent des solutions aux problèmes
de l’Afrique.
C’est le cas de la
Sillicon Savana au Kenya, ou de la Sillicon Montain Cameroun où des
jeunes passionnés et très souvent sans diplôme innovent, créent, inventent leur
futur avec des services et des produits
innovant. Et par le fait même apportent des solutions aux problèmes de l’Afrique.
Voilà l’ingénierie sans diplôme dont il est question. Mais allons comment y
arriver ou mieux comment arriver à un niveau de compétence, de technicité et
d’ingéniosité sans passer par une école d’ingénieurs… ?
4 Moyens pour se former
et être ingénieur, même sans diplôme.
« L’auto-éducation est, je le crois
sincèrement, la seule forme d’éducation qui soit ». Cette affirmation forte d’Isaac Asimov (écrivain de
science-fiction et expert scientifique américano-russe) est
bien surprenante, mais semble être un fait. Il prouve que l’auto-éducation
est la meilleure des éducations. D’une
part parce qu’on aime ce qu’on apprend par soi-même et non imposé par un
système. Et d’autre part, parce que l’apprentissage débouche
presqu’immédiatement sur l’application concret des savoirs appris. A la suite Isaac, l’entrepreneur américain
Jim Rohn lui, nous révolté un peu en
disant que : « L’éducation formelle vous aidera à vous faire une vie
mais, L’auto-éducation vous aidera à
faire fortune ». Voilà un autre ton
bien fort au sujet l’auto-éducation et de l’auto-formation. S’il est vrai que
l’Internet et les autres outils du numérique nous offre une pléthore de solutions pour nous former, il n’en demeure pas moins
vrai qu’il faut de la ténacité et la détermination pour aller jusqu’au bout de
ses idées.
Nous énumérons ici 4 façons ou solutions complémentaires pour
vous former et devenir Ingénieur
même sans diplôme.
1. La lecture
Il a été prouvé, reprouvé et
« re-reprouvé » que la lecture est le premier vecteur d’apprentissage
dans le monde. Il est admis que la
lecture de 3 livres fait de vous un expert dans le domaine auquel se rapportent vos lectures. Elon Must
est considéré comment un expert dans
l’aéronautique, de l’aérospatial et
de l’énergie solaire, alors qu’il n’a jamais fait les études d’aéronautique. Il a juste
fait beaucoup de lecture et de recherche dans ces domaines. Pourquoi ne pouvons-nous pas en faire autant en Afrique ?
2. Les vidéos de formation et Youtube
Les TEDx, série de vidéo sont des
conférences très intéressantes traitant
des thématique divers et variés sont disponibles gratuitement en ligne sur
Internet. Et sont de sources
d’inspiration dans tous les domaines des technologies, des sciences et de
l’économie. Et malheureusement très peu d’africain s’intéressent à ces
conférences. Les vidéos Youtube sont de
véritables sources d’inspiration de nos jours.
Elles ont permis à plusieurs non seulement
de se former, mais aussi de créer leurs business. Savez vous le nombre de temps
moyen que passe un jeune africain sur les réseaux sociaux (particulièrement sur
Facebook et Whatapp) ? Si seulement ce temps était mis à contribution pour
l’apprentissage, l’Afrique serait déjà le gisement d’inventeurs le plus
important de toute la planète.
3. L’Auto-Radio (cours audio)
Ecouter l’autoradio ( ou mieux les
fichiers MP3) permet de se former
pendant qu’on est dans un taxi ou au volant de sa voiture. Et ainsi les moments
d’embouteillage sont capitalisés pour l’apprentissage. En une semaine, nous
pouvons accumuler 5h de conférence en écoutant juste 1h par jour. Ce qui
fait 20h d’écoute par mois
On peut apprendre par l’autoradio dans
tous les domaines, et pas seulement les langues. Elle favorise la créativité et aiguise notre vision de la vie et de l’avenir
4. La Formation en ligne
La quatrième façon d’apprendre dans tous
les domaines, c’est bien évidement par la formation en ligne. Voilà Internet qui
devient véritablement une chance pour l’Afrique, comment le disait l’ancien
Ingénieur camerounais de MICROSOFT, Monsieur
Bonjavo. Une chance parce que les opportunités y sont dénombrés par
milliers de millions. Le jeune Ingénieur Camerounais Arthur Zang, inventeur du
CardioPad ( périphérique de télémédecine) nous a confié qu’il est appris
l’électronique entièrement en ligne pendant ses recherches. Et bien plus que c’est
pas l’Internet qu’il a pu décrocher le premier financement pour lancer son
entreprise. Il existe en ligne sur
Internet plusieurs solutions de formation. Ce qu’on appelle couramment les
MOOC (Massive Open Online Courses), sont
des cours pour la plus part gratuits. Mais très peu explorer par les Africains.
Le concept est né aux Etats-Unis et se repend progressivement dans le monde
entier. Ce sont des cours en ligne ouvert et massif permettant de se former à
distance et pouvant accueillir un grand nombre de participants. Plusieurs grandes écoles et universités mettent à disposition en ligne la majorité de
leurs cours. C’est dire que tout le savoir du monde est donc disponible en
ligne sur Internet et en plus mise à jour. L’Université Virtuelle Africain est
l’un des plus grands réseaux de formation et d’apprentissage à distance en
Afrique. Cybervillage OpenAcademy 4 Dev
est aussi un centre de formation et d’apprentissage à distance, lancé par l’Association
TIC Africa / Cybervillage. Cette dernier offre de formation en ligne et aussi des ateliers itinérante à travers
les régions des du Cameroun et d’Afrique.
Au
terme de cette réflexion, dont le but était de mieux comprendre la notion d’ingénieur
numérique sans diplôme, de voir si c’est possible et réalisation. Nous remarquons
tous que c’est bien possible d’être
ingénieur sans diplôme. Sans même avoir jamais fait des études supérieures. Plus la peine de trouver des prétextes pour ce
complaire dans l’oisiveté et le chômage. Plus la peine d’attendre l’Etat « Père Noël » pour être ingénieur, pour avoir un emploi ou pour en créer une. Seul l’action, l’acquisition des
savoirs techniques et leurs mise en application peuvent semble-t-il apporter un
changement dans votre vie de jeune. Donc
« être ingénieur numérique » ne devrait plus être un mythe pour les
africains. Mais bien au contraire une issue pour casser les barrières de l’impossible,
sortir sa zone de confort et contribuer
à développer notre continent, maintenant
ou jamais.